Merci Bertrand Tavernier

Tristesse de la petite main 

Cher Bertrand,

La première fois que je vous ai vu, c’est dans l’obscurité d’une petite église de Florence à l’été 2005. Je vous ai reconnu, émerveillée de vous voir là, amusée de ce hasard. En voyage en Italie, je déposai alors dans chaque église, avec une ferveur toute païenne, le voeu d’être acceptée pour un stage au MoMA. La vie est mystérieuse, parfois follement généreuse dans ses réponses, et elle allait m’offrir non seulement le stage – à un autre moment qui ne serait plus le bon pour moi – mais surtout, trois ans plus tard, un emploi à l’Institut Lumière, maison de cinéma rêvée, qui me ferait rejoindre vos aventures rue du Premier-Film.

L’une des toutes premières rétrospectives sur laquelle j’ai travaillé a été la vôtre : fin 2008-début 2009, l’Institut Lumière vous consacrait une grande fête-célébration, en présence de vos proches, de votre bande. Alors petite main débutant rue du Premier-Film, j’étais chargée de les inviter. De quoi plonger dans votre univers, voir tous vos films ou presque, de rencontrer Jane Birkin, Sabine Azéma, Pierre-William Glenn, Philippe Sarde, et tant d’autres… Nous célébrions la sortie de votre livre Amis Américains. Je vous découvrais aussi à l’oeuvre lors des présentations de films, contaminée comme tous par votre joie (souvenir marquant de Convois de femmes de Wellman, entre autres). 

S’en sont suivies onze années à vous côtoyer si souvent, vous accueillir, vous écouter, vous accompagner ici et là. Votre présence érudite, joyeuse et chaleureuse redoublait la passion et la fierté que j’avais à exercer mon métier. Un plaisir à vous côtoyer qui semblait palpable et partagé par les équipes. Les nombreux hommages qui se succèdent depuis jeudi 25 mars, jour de votre disparition, ont décrit votre amour du cinéma, votre filmographie si riche et large, votre gourmandise, votre érudition, votre attention portée à tous que ce soit dans le cinéma – dans les génériques des films – ou dans la vie – sur les plateaux de tournage ou les festivals. Je reste très marquée par votre oeuvre, au diapason de ce que j’ai connu de vous, éminemment curieux des gens et du monde que vous habitez. Le cinéma était bien sûr l’affaire de votre vie, hautement sérieuse et ardente, et néanmoins si joyeuse. Je me souviens de votre humour irrésistible et ravageur qui ajoutait tant de sel à vos récits de cinéma. 

En 2019, année de mon départ de l’Institut Lumière, j’avais souhaité vous dire au revoir et je vous avais proposé que nous nous croisions au festival Lumière : vous aviez proposé que nous déjeunions ensemble. Généreux en cinéma, vous l’étiez aussi dans votre gentillesse et votre attention : vos mots, d’une gentillesse infinie, résonnent encore. Vous vous étiez montrés aussi très encourageant au sujet de Cosmos – culture et écologie. 

Ma tristesse est à la hauteur de la gratitude et de la joie d’avoir longé votre chemin quelques temps.

Je pense à vos proches et aux équipes de l’Institut Lumière. Je pense aussi beaucoup au public formidable (et comment utiliser ce mot sans penser à vous, qui l’employiez si volontiers) de l’Institut Lumière qui vous aimait tant, et pour eux comme pour tous ceux qui vous ont connu de près ou par vos films, la vie-cinéma va être bien différente sans vous.

Entêtée depuis quelques temps par la poésie de Bernard Dimey, voici quelques vers qui siéent bien je crois à ces jours de tristesse : 

« Les chemins perdus sont si beaux

Et cela suffit à ma peine. »

Merci, merci pour tout cher Bertrand Tavernier 

Pauline De Boever

Cofondatrice de Cosmos – culture et écologie, j’ai travaillé pendant onze ans à la programmation de l’Institut Lumière, ainsi qu’aux collections de la cinémathèque, et au festival Lumière.